Entrons directement
dans le vif du sujet, voulez-vous ? Je me sens aujourd’hui d’humeur
directe, alors je vais essayer – je dis bien essayer car c’est là une de mes
« mauvaises » habitudes – de ne pas alourdir cette pauvre feuille de
mots pesants et ornementaux.
Adolescente ennuyée
et déprimée dès le plus jeune âge, je suis effectivement tombée dans le piège des films dramatiques
pseudo-biographiques des grands noms de l’histoire de l’art et de la musique,
servant à un public en manque de rêves, artistes incompris et poètes maudits à
gogo. Ainsi, de Kurt Cobain, cet éternel enroué au moral rampant, à Jim
Morrison, chaman romantique à la transe facile, d’Arthur Rimbaud, ce sale gosse
libre et talentueux, à Alfred de Musset, ce connard tourmenté au cœur humide,
je me suis entichée d’influences de cette espèce bien particulière d’artistes.
L’artiste a – trop –
longtemps été pour moi un héros de son temps. Avant d’entrer en école d’art
déjà, j’avais compris que cette image préconçue que l’on nous donnait de
l’artiste était pour ainsi dire non-contractuelle, mais je le refusais, comme
l’enfant n’accepte pas immédiatement le fait que le Père Noël n’existe pas, je
m’explique : il trouve un bonnet rouge et une barbe postiche dans
l’armoire qu’il n’aurait jamais dû explorer, et la repose à sa place sans mot
dire, tant la déception est grande et douloureuse. C’est un rêve qui
s’effondre, il comprend que ses parents ne sont pas des héros. Ils lui ont
menti. Et comme l’enfant, je me sens dupée, car voilà : l’artiste n’est
pas un héros. Aïe, mon cœur.
Arrivée en école
d’art, enfin, on m’a mise face à cette réalité que je n’avais pas voulu
voir : mes idéaux avaient dépassé – et de loin – leur date de péremption.
J’avais bien cinquante ans de retard quant à mes attentes vis-à-vis de l’art.
Après un tel séisme, il serait trop long de retracer ici le chemin, ou plutôt les
allées-retours multiples et aliénantes, parcourues cette année.
C’est seulement
aujourd’hui que s’achève pour moi une longue période de remise en question
constante faite, je dirais bien « de hauts et de bas », mais voilà
bien cinq mois que je suis embourbée dans le « bas ».
Malheureusement, en école d’art et dans la société en général, on n’a pas le
temps de se languir si longtemps. Pourtant dans mon cas, cela fut nécessaire,
car je saisis désormais mieux mes attentes quant à l’art : je sais un peu
mieux ce que je vais faire, mais surtout je sais ce que je ne veux pas faire.
Mes premiers mois se
sont pourtant passés parfaitement. « Ma
vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. »
Puis bon, vous connaissez la suite, j’ai
assis la beauté sur mes genoux, je l’ai trouvée amer, je l’ai injurié, je me
suis armée contre la justice, et maintenant, je m’enfuis ! En toute
connaissance de cause. Je me suis bien amusée cette année. Je suis tombée
amoureuse. J’ai commis toutes sortes de crimes capillaires. J’ai vaincu
complexes de supériorité et d’infériorité. J’ai pris des drogues, et de toutes
sortes, qui m’ont « illuminée » et ravagée. J’ai fait des choses
« qui ne se font pas » et que je ne citerais pas ici (ce serait
avouer mes méfaits trop facilement et ça ne serait sûrement pas pris pour ce
que ce fut). J’ai été à des concerts alternatifs, bu de la bière, et dansé
sauvagement, sur des musiques inécoutables. J’ai refait le monde des centaines
de fois autour de la table de la cuisine. J’ai été aux vernissages, une coupe
de vin à la main, j’ai été parler aux gens, un grand sourire aux lèvres, je me
suis faite remarquer, en bien et en mal, j’ai montré à tout le monde que
j’étais là, et je dois dire que cela m’a beaucoup amusé et intéressé. Mais je
ne me vois pas faire ça pendant cinq ans, ou même toute ma vie, mon dieu,
non !
Car n’est-ce pas cela
un artiste aujourd’hui ? On m’a dit « l’artiste est un
auto-entrepreneur, un businessman, un promoteur de lui-même, un défenseur de sa
propre cause, c’est un beau parleur, un Dom Juan, il sait se faire aimer de par
son discours, il est un politicien, un homme – ou une femme – sérieux, et travailleur,
un réel intellectuel. » Toute sa richesse est dans sa boîte crânienne, ses
mains ne sont qu’accessoires, et ses yeux semblent clos. Il ne se bat plus pour
libérer l’art de son joug, puisqu’il n’y a plus de barreaux à sa cage. Il est désormais libre (merci Marcel). Et
comme désormais, tout est acceptable et accepté, sous réserve d’un bon bla-bla
baveux, alors que faire ? Mon ressenti, mon impression, naïve si vous
voulez, est la suivante : deux artistes discutent. Tandis que l’un tient
un discours sur son travail traitant de la néguentropie constructiviste
divergente extatique, l’autre hoche la tête mollement mais sûrement, décorant
la tirade de son congénère par quelques « intéressants » et autres
onomatopées ornementales. Or, ce n’est
pas comme si je n’y comprenais rien. Si je veux, je rentre, j’entends ces
artistes, je comprends ce qu’ils se racontent entre artiste. Mais faites un pas
en arrière, et vous aurez un aperçu de ce cette vision délirante que je ne peux
ignorer désormais : vous avez devant vous, une scène digne de la plus
absurde des plus absurdes pièces de Beckett.
Savez-vous ce qu’est
un RPG, ou Role-Playing Game ?
Je cite une définition simple piochée sur le net :
« Un RPG est un jeu de rôle dans lequel le joueur incarne un personnage
qu’il fera évoluer au cours du temps. Les RPG sont basés sur un système de
points et de niveaux d’expérience. En augmentant son expérience (en combattant,
effectuant des quêtes), le personnage pourra monter de niveau et devenir plus
fort. »
Certaines sous-espèces bien particulières de geeks sont
très friandes de ce genre de jeux, et en arrivent parfois à substituer au monde
réel le monde virtuel, duquel ils sont rejetés cruellement. Ils ont, sur la
toile, leur cercle d’amis aussi dissidents qu’eux dans la « réalité main
Stream », mais peu importe, puisqu’ils ont leur propre réalité
alternative, ou parallèle. Dans leur RPG favori, ils sont preux chevaliers,
dragons célestes ou puissants paladins. Ils sont connus et reconnus pour ce qu’ils
sont dans le jeu, et non pas pour ce qu’ils sont dans la « vraie
vie » (petit myope boutonneux pour le cliché). On rit beaucoup de ces
jeunes et moins jeunes qui passent la plupart de leur temps devant un écran
d’ordinateur. Or, en lisant ces définitions, je trouve qu’on pourrait parler
d’une école d’art. Car il est certain que les artistes sont « dans leur
monde ». Ils sont quelqu’un au sein de ce milieu alternatif, complètement
hors du monde. Car si autrefois, l’art émouvait le peuple de par les prouesses
techniques atteintes par l’homme, aujourd’hui, il semble factuel que le seul
qui se sente un tant soit peu concerné par l’art n’est autre que l’artiste
lui-même. Pour moi, et cela n’engage que moi, c’est ici que l’art perd tout son
sens. Mon père, pourtant plutôt cultivé, pas érudit, mais dans la moyenne »,
n’a jamais entendu parler de Marcel Duchamp, ne trouve aucun intérêt à
« Carré Blanc Sur Fond Blanc, et Kandinsky, avec ses peintures censé faire
vibrer l’âme humaine, le laisse parfaitement de glace. Certes, il n’a pas le
bagage intellectuel nécessaire à l’assimilation de la complexité moderne. Mais
qui l’a, à part nous, artistes ? Personne.
Nous nous retrouvons donc entre nous, et que faisons-nous ? Nous « échangeons » idées et concepts, inlassablement, nous partageons nos points de vue, car nous seuls nous comprenons : nous sommes des artistes. Nous nous distrayons, nous incarnons nos idéaux, des personnalités multiples, nous jouons à ce grand jeu d’échec, nous avançons nos pions afin d’avancer dans ce milieu restreint et cruel parfois. En ce sens, je trouve la situation de l’artiste similaire à celle du geek à cela près : le geek n’a aucune fierté à être geek, il l’est, tout simplement. L’artiste a davantage tendance à se considérer supérieur à ses congénères « lambda » - terme très à la mode ces temps-ci. Certes, il possède une culture certaine, il a une réflexion sur tout ce qui l’entoure, est sensible à certaines choses qu’un gens du peuple ne pourra percevoir, mais de par sa marginalité – la marge, sur une feuille d’écolier, étant sur le côté, ni au-dessus ni en dessous – il n’est en réalité ni supérieur ni inferieur.
Nous nous retrouvons donc entre nous, et que faisons-nous ? Nous « échangeons » idées et concepts, inlassablement, nous partageons nos points de vue, car nous seuls nous comprenons : nous sommes des artistes. Nous nous distrayons, nous incarnons nos idéaux, des personnalités multiples, nous jouons à ce grand jeu d’échec, nous avançons nos pions afin d’avancer dans ce milieu restreint et cruel parfois. En ce sens, je trouve la situation de l’artiste similaire à celle du geek à cela près : le geek n’a aucune fierté à être geek, il l’est, tout simplement. L’artiste a davantage tendance à se considérer supérieur à ses congénères « lambda » - terme très à la mode ces temps-ci. Certes, il possède une culture certaine, il a une réflexion sur tout ce qui l’entoure, est sensible à certaines choses qu’un gens du peuple ne pourra percevoir, mais de par sa marginalité – la marge, sur une feuille d’écolier, étant sur le côté, ni au-dessus ni en dessous – il n’est en réalité ni supérieur ni inferieur.
Ce n’est
pas un jugement que j’émets ici, simplement mon observation. Je n’ai au final
rien contre les artistes, ni contre les geeks. Je me rends simplement compte
que je ne pourrais passer ma vie à jouer ce petit jeu, vraiment, rien que
l’idée d’un huis clos du monde artistique me rend toute angoissée.
Peut-être que je
parle ici, sans le vouloir, plus de mon ressenti de l’école d’art que de l’art
lui-même, mais il me semble que cela revient plus ou moins au même, puisqu’un
artiste sort aujourd’hui forcément d’une école d’art. Est-ce qu’un artiste est
quelqu’un qui a son Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique en
poche ? En tout cas c’est ce qu’on a l’air de me dire ici.
La dernière fois, je
me suis pointée à un vernissage de notre Kunsthalle locale. L’exposition
« Sous nos yeux » fraîchement installée ne m’a pas déplue :
j’avais « sous mes yeux » une ribambelle d’œuvres, pardon, de
« pièces », toutes pour le moins pertinentes et authentiques. Avec un
minimum d’empathie, j’étais capable d’apprécier chacune des pièces, cela parce
que j’étais de bonne humeur, et que j’avais décidé de prendre un peu de temps
pour essayer de « rentrer dedans ». Mais je dois dire que rien de ce
qui se trouvait là ne m’a profondément transcendé, impressionné. Rien ne m’a
touchée. Et c’est là, à mon sens, LE critère qui fait qu’une
« pièce » deviendra « œuvre ». Ce que j’attends d’un
artiste, c’est qu’il vienne me chercher, qu’à la première vue de sa pièce,
quelque chose se passe en moi, se casse en moi, ou naisse en moi, peu importe,
n’importe quoi en moi. Est-ce fainéant de ma part ? Sûrement. Mais grande
romantique que je suis, je crois aux coups de foudre, et je n’ai jamais su
aimer, ni quelque chose, ni quelqu’un, petit à petit, ou progressivement. Ça
doit être le choc, le crush, la révélation ultime, un truc qui te saute à la
gorge, bref, du lourd. L’un des exemples que je trouve à citer ici se trouve
être une gigantesque toile de Gustave Doré exposée au Musée d’art moderne de
Strasbourg. Une scène christique. Que faire devant un tel monument sinon
s’incliner, poser le genou à terre, et prier pourquoi pas. Je pense aussi à
« Piège pour un voyeur » de Michel Journiac, performance/living
sculpture/installation qui aura provoqué le scandale et traumatisé plus d’un
bobo parisien. Beuys expliquant un tableau à un lièvre mort a également une
place chère dans mon cœur. L’art que j’apprécie est celui qui force la
réaction. Celui qui vient piquer le spectateur à un point sensible, celui qui
vient le chatouiller au creux du dos, là où il ne peut se gratter seul. Mais vu
qu’aujourd’hui, nous l’avons dit plus haut, l’art est libre, plus rien ne
choque réellement. Enfin, peut-être que si.
A ce vernissage,
l’artiste avec un grand A, le plus renommé de l’exposition, a pris la parole.
Son discours m’ennuya plutôt, mais je dois reconnaître que j’ai été choquée par
une de ses phrases, retranscrite approximativement ici : « Nous
pouvons dire que l’enjeu principal de notre siècle, notre grand problème
contemporain est celui du langage. ». Ce n’est pas par le fond que j’ai
été choqué, hormis le fait que le langage esthétique a toujours été l’un des
enjeux de l’art, je crois, et que le langage verbal est effectivement un
« problème » au sens premier, à mon sens. Non, mis à part cela, ce
qui m’a entre nous soit dit exécrée, c’est
l’affligeante mollesse, l’absence de passion, la non-résonnance de
l’élucubration ci-dessus. Voilà donc notre grande quête, et voilà le ton de
notre temps. Alors je m’ennuie déjà du siècle à venir. Alors l’enjeu principal
de l’époque m’emmerde au plus haut point, ne me concerne pas.
Soit alors, je
m’entête et me débats dans cette cage aux fauves, en espérant qu’au final,
peut-être, si je me débrouille bien, éventuellement, un jour, j’arrive,
directement ou indirectement, à ébranler un tant soit peu le monument
académique conventionnel un peu tiède
et agaçant du monde de l’art contemporain, ou soit, je jette à la poubelle mes
vœux et aspirations les plus nobles pour un monde meilleur et pour un art juste
et fort et je trace ma route, loin de tout ça, dans un petit village de Sibérie
peut-être. A méditer.
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