12/12/2013


Son oeuvre, Hermann la définit lui-même en ces termes : c'est un film d'épouvante expérimental. En cette froide fin d'année, le tout jeune artiste plasticien - et pour le coup réalisateur - a l'honneur (inavoué) de nous présenter Les Chats du Malin, projeté en avant première le mercredi 4 décembre 2013 sur le merveilleux écran du fameux amphithéâtre de l'école nationale supérieur d'art de Mulhouse - ou Le Quai pour les intimes.
Trêve de plaisanteries.
Il s'agit là d'un moyen métrage entièrement tourné à l'aide d'un de ces téléphones portables du début du siècle, dans le genre "frigo". 
Il en résulte bien évidement une pixellisation intense et intransigeante des sujets capturés par l'appareil, si bien que beaucoup de séquences vont même jusqu’à tendre vers l’abstraction. Parfois on distingue un truc, et en est plutôt fier, on se demande si on est le seul dans la salle à avoir su relever un vague visage parmi tous ces petits carrés qui composent et décomposent l'image durant la demi-heure que dure le film.
Est-ce là une recherche picturale visant une esthétique lo-fi subtile et mystérieuse ou tout simplement un énorme doigt d'honneur adressé à la croissance toujours plus croissante du pouvoir de la technologie sur notre société de consommation (technologie qui, il faut bien l'envisager, finira tôt tard par nous consumer), ou encore plus simplement la revendication d'un droit de créer malgré un statut social d'étudiant précaire, avec les moyens du bord comme on dit de par chez nous. 


Surement un peu de tout ça à la fois. Ce qui est certain c'est que l'approche complètement décomplexée de la notion de "film" - voire de cinéma - fonctionne au final plutôt bien, et on peu même dire que, tout comme les chats omniprésents tout le long du film, S.A.P Hermann a su retomber brillamment sur ses pattes. 

Le film s'ouvre sur une plutôt longue séquence (chose qui se fait plutôt couramment dans le cinéma actuel) visiblement tournée au petit matin dans un camping, genre festival, foutrement décadent et pourtant magique. On ne sait pas vraiment si l'on doit considérer cela comme une situation initiale (on peut voir les grilles qui cernent les tentes rigoureusement déployées afin qu'aucun de ces festivaliers sauvages ne s'échappe, puis petite contemplation de l'aube accompagné de commentaires plus ou moins anodins. un mec ronfle fort, la tête sous les fesses d'un autre mec.) 
Alors que l'on commence à se demander dans quel genre de merde on s'est embarqué, l'apparition du titre (clignotant et flashy, un peu à la Gaspar Noe) vient nous interrompre dans nos doutes et nos interrogations et très vite on comprend que la suite du film d'épouvante qui commence à peine promet d'être surprenante. Alors on se relâche un peu et on cesse d'attendre une quelconque révélation évidente quant au sens  de la chose. Cette prise de conscience effectuée, on n'a plus qu'a se laisser porter par la bande son volontairement bruitiste et insistante, viscérale, inquiétante et obscure qui accompagne de manière cohérente les images troubles et tremblotantes, bande son qui d'ailleurs a été composée par Hermann lui même (on est jamais mieux servi que par soi-même, comme on dit). 
L'atmosphère particulièrement stridente que l'on peut attendre d'un film d'épouvante est donc bien au rendez-vous, de ce côté là il n'y a donc rien à dire. Certaines coupures violentes viennent cependant parfois casser l'ambiance morbide et nous ramènent à une sorte de réalité tangente, un peu comme lorsque l'on sursaute dans son sommeil : c'est plutôt désagréable, mais peut-être est-ce un effet que cherche à nous transmettre le réalisateur, tout laisse croire qu'il s'agit là d'un parti-pris assumé et sans concession. 
Toujours est-il que Sébastien Hermann n'est pas le genre de type à se contenter d'une base audio-visuelle déjà cohérente et pertinente ; c'est pourquoi il ajoute à sa réalisation une dimension poétique qui n'alourdit en rien la mixture finale, mais qui bien au contraire apporte une sensibilité franche, une fluidité haletante, même une sorte de narration à ce patchwork chaotique de scènes quotidiennes qui composent le film. Les sous-titres sont rouges flash, et viennent ponctuer le brouhaha de citations de films piochés ici et là dans les fichiers .srt. Il en résulte une sorte de cut-up, un collage verbal à la dada, un brin surréaliste et pourtant très évoquant. 
"La vie est trop courte mais tu peux te retrouver dans les merde."
"Est-ce que tu l'embrasseras d'abord ou tu le suceras tout de suite ?"
Des extraits courts et puissants, effet coup de poing garanti pour les oreilles les plus chastes de la salle. Le jeune artiste est un amoureux de l'aphorisme au sens large. 
Le chat noir nous demande "Tu veux quelques chose ?" puis "On prendra de l'essence et on reviendra vous chercher."
Sébastien Hermann est visiblement atteint d'un trouble obsessionnel et paranoïaque porté sur la figure du chat. Les chats sont ici habités par d'évidentes forces maléfiques, ils sont omniprésents et surtout mal-intentionnés, ils sont le côté obscur des Chats Perchés de Chris Marker. 

Mention spéciale aux chacteurs, qui interprètent à la perfection leur rôle démoniaque.

La plupart des séquences sont tirés de scènes du quotidien du réalisateur, un peu à la façon des films-journal de Mekas, ainsi que d'explorations, d'errances, de promenades dans lequel il nous entraîne avec lui. D'autres scènes ont été légèrement scénarisées et jouées, afin de donner un semblant de narration, juste ce qu'il faut pour donner au film une sorte de dynamique suggérée. Si l'on est bien attentif, on pourra remarquer quelques images subliminales dissimulées tout le  long du moyen-métrage : c'est plutôt drôle et excitant, et on est fiers de l'avoir remarqué, celle là.
En résumé, nous avons là une belle réussite du jeune Hermann, riche et viscérale, sombre, tragique, mais très justement dosé, évitant ainsi un pathos qui aurait pu ternir la chose.