Mes copains pour la vie.
Je ne faisais rien. Absolument rien. Quand je dis
« rien », c’est « rien ». Je m’ennuyais, tout seul, dans mon
grand studio blanc d’hôpital. J’eus l’idée folle. De voir du monde. Beaucoup de
monde. J’avais des copains. Je voulais les voir. Tous. Maintenant. Je les ai
invités, tous, à me rejoindre, chez moi, pour un moment. Un moment tous
ensemble. Un moment comme on en rêve. Tous ces humains liés à moi,
presqu’intimement, mais pas encore. Des copains, selon la définition du Larousse.
Copain : n.m (familier) :
Compagnon classe, de travail, de loisirs, etc.
Ils ont
répondu présents, tous, ou presque. Tant pis pour les absents. « Les
absents ont toujours tort. », me rappelai-je. Alors tant pis pour eux. Les
présents arrivent. Ils ont ramené leur gnôle et leur herbe, comme d’habitude.
Ils se vautrent dans le canapé, et discutent. Encore comme d’habitude. Toujours
comme d’habitude. Discutent de choses et d’autres. Des choses de copains. Des
choses dont les copains discutent. « C’est
normal. C’est ainsi. » me dis-je. « C’est comme ça. ».
Tous ces humains
liés à moi, presqu’intimement, mais pas encore. Ils ne le seront peut-être
jamais. À ce rythme là, ils ne le seront jamais. Je me retire de la discussion.
Je les laisse discuter, et je pense. Je pense et je comprends : nous ne
nous lierons jamais. Cela me frustre. Enormément. C’était évident. Nous ne
serons jamais
Que des copains.
Ce n’est
pas suffisant.
Je les
regarde : ils sont là, tous ensemble, en ce moment même, tous mes copains
qui ne seront jamais que des copains. Ils sont saouls. Ils sont défoncés.
Discutent comme des copains saouls et défoncés. J’ai arrêté de boire. J’ai
oublié de boire parce que je pensais. Je ne suis pas aussi saoul qu’eux. Ils
sont saouls et défoncés, ensemble. Et les voilà liés intimement. Je suis seul,
sobre. Sobre, donc seul. Ça me gratte le cœur. Ça me picote entre les côtes,
derrière les côtes, à cet endroit. L’endroit du sale amour-propre.
Alors je me
lève. Personne ne voit que je me suis levé. J’allume un encens. Ça sent bon,
très fort, c’est bien. C’est bien que ça sente fort. Je vais à la cuisine. Il y
a ma gazinière. J’aime ma gazinière, elle est belle. J’ouvre le gaz. J’ai
ouvert le gaz. Maintenant, je retourne avec mes copains. Mes éternels copains. Mes
copains pour la vie. L’un d’eux remarque l’odeur. Il me demande où j’ai acheté
mon encens. Je lui réponds que c’est un
secret. Il rit, je ris, et il me demande mon briquet. Je lui tends mon briquet,
et il me remercie, me sourit, la clope entre les lèvres, incline la tête,
presse son pouce sur la molette qui se frotte à la pierre et