09/10/2014

Mes copains pour la vie.

Mes copains pour la vie.



Je ne faisais rien. Absolument rien. Quand je dis « rien », c’est « rien ». Je m’ennuyais, tout seul, dans mon grand studio blanc d’hôpital. J’eus l’idée folle. De voir du monde. Beaucoup de monde. J’avais des copains. Je voulais les voir. Tous. Maintenant. Je les ai invités, tous, à me rejoindre, chez moi, pour un moment. Un moment tous ensemble. Un moment comme on en rêve. Tous ces humains liés à moi, presqu’intimement, mais pas encore. Des copains, selon la définition du Larousse.

Copain : n.m (familier) : Compagnon classe, de travail, de loisirs, etc.

Ils ont répondu présents, tous, ou presque. Tant pis pour les absents. « Les absents ont toujours tort. », me rappelai-je. Alors tant pis pour eux. Les présents arrivent. Ils ont ramené leur gnôle et leur herbe, comme d’habitude. Ils se vautrent dans le canapé, et discutent. Encore comme d’habitude. Toujours comme d’habitude. Discutent de choses et d’autres. Des choses de copains. Des choses dont les copains discutent.  « C’est normal. C’est ainsi. » me dis-je. « C’est comme ça. ». 

Tous ces humains liés à moi, presqu’intimement, mais pas encore. Ils ne le seront peut-être jamais. À ce rythme là, ils ne le seront jamais. Je me retire de la discussion. Je les laisse discuter, et je pense. Je pense et je comprends : nous ne nous lierons jamais. Cela me frustre. Enormément. C’était évident. Nous ne serons jamais 

Que des copains.

Ce n’est pas suffisant.

Je les regarde : ils sont là, tous ensemble, en ce moment même, tous mes copains qui ne seront jamais que des copains. Ils sont saouls. Ils sont défoncés. Discutent comme des copains saouls et défoncés. J’ai arrêté de boire. J’ai oublié de boire parce que je pensais. Je ne suis pas aussi saoul qu’eux. Ils sont saouls et défoncés, ensemble. Et les voilà liés intimement. Je suis seul, sobre. Sobre, donc seul. Ça me gratte le cœur. Ça me picote entre les côtes, derrière les côtes, à cet endroit. L’endroit du sale amour-propre. 

Alors je me lève. Personne ne voit que je me suis levé. J’allume un encens. Ça sent bon, très fort, c’est bien. C’est bien que ça sente fort. Je vais à la cuisine. Il y a ma gazinière. J’aime ma gazinière, elle est belle. J’ouvre le gaz. J’ai ouvert le gaz. Maintenant, je retourne avec mes copains. Mes éternels copains. Mes copains pour la vie. L’un d’eux remarque l’odeur. Il me demande où j’ai acheté mon encens.  Je lui réponds que c’est un secret. Il rit, je ris, et il me demande mon briquet. Je lui tends mon briquet, et il me remercie, me sourit, la clope entre les lèvres, incline la tête, presse son pouce sur la molette qui se frotte à la pierre et


04/10/2014

Mauvais trip dans un concert rock dans les 70s.


Peut-être était-ils habités par quelque entité divine, lorsqu'ils faisaient vibrer leurs cordes de chair ou de métal, offrant leur figure mouillée au ciel vaste, ou peut-être ne l'étaient-ils pas. Peut-être faisaient-ils semblant ? Ça gagne de jouer au chaman illuminé, ça booste les ventes et ça dore le nom, c'est un truc de Morrison, mais les gens en redemandent. C'est dans l'ère du temps : on quitte sa paroisse pour des gourous d'un autre genre. On brûle la soutane sur un tas de fumier et on court acheter un T-Shirt absolument acide downtown.  L'envie y était : à les voir rire et chanter, danser et planer, qui rechignerait à se jeter corps et âme dans une pareille mouvance ? J'étais le seul, il me semblait, à me demander quelles étaient les limites de cette mascarade ardente ? 
Et elles, elles dansaient comme transportée, elles ondulaient, possédées peut-être. Ou peut-être pas. Peut-être feignaient-elle l'extase pour avoir l'air plus attrayantes encore qu'elles ne l'étaient déjà. Peut-être était-ce une façon pour elles de dévoiler la torride langueur qui les animait, une invitation qui ne se refuse pas ; leur piège était d'une simplicité redoutable, et tous s'y jetaient assidûment. Bien sur, elle n'avaient d'yeux que pour les dieux. Mais si un ersatz convenable s'offrait à elle, elle ne le congédierait pas. D'un commun accord, mâles et femelles se dévoraient l'un l'autre, le temps d'une nuit dans une piaule insalubre d'un motel du bord d'une autoroute de Californie. C'est cela, paraît-il, l'exquise liberté, celle que l'on avait touché du doigt il y a quelque temps déjà, du côté de Woodstock. En réalité, je n'y voyais que l'apogée d'un consumérisme total, accueilli à bras ouverts par une génération lassée d'une identité trop propre. "Je t'avale, en un instant, j'absorbe ton être,  comme j'ingurgite d'une traite un big-mac bien goûtu." Quelques poèmes téléphonés et creux sur le sens de la vie, histoire d'assaisonner le coït d'un nectar doux pour le coeur, et par la même de masquer l'odeur de transpiration âpre et agressive qui se dégage du corps vidé/comblé. Ensuite, ils allaient voir ailleurs, et malheur à celui qui avait succombé à la tentation vieillotte de l'attachement.
Ils étaient libres, oui… Libres comme de petits lapins frétillants lâchés dans un enclos assez vaste pour donner l'illusion de l'infinitude (car ce que l'on nomme Liberté, n'est ce pas de quitter une cage étroite pour en gagner une un peu moins étroite ?).  
L'aspect sordide qu'aurait pu prendre la scène était adroitement travesti : lumières colorées et tamisées, guitare à la distorsion incandescente, rythme régulier et incessant, moiteur d'un air trop partagé, senteur de l'herbe fraîchement séchée. Tous les sens étaient agréablement gâtés. L'éblouissement sympathique ne pouvait que séduire ces milliers d'yeux, d'oreilles, de nez, de langues, de peaux. Une esthétique totale prometteuse. C'est ainsi que l'on habille les monstres pour les faire aimer de tous.